Inceste et violences sexuelles : prescription ou imprescriptibilité, un choix de société pour…

Iszzya

17/10/2025

Face aux violences sexuelles et à l’inceste commis sur des enfants, la question du délai de prescription touche au cœur de notre justice. Faut-il rendre ces crimes imprescriptibles pour permettre aux victimes d’agir sans limite de temps, ou renforcer d’autres réponses plus justes et plus efficaces pour protéger, accompagner et reconnaître les survivantes et survivants ? Avocate engagée et membre de la Ciivise, Danielle Gobert apporte des repères pour comprendre ce débat complexe.

Danielle Gobert, avocate au barreau de Saint-Malo-Dinan, a fondé et préside l’association « Les Maux – Les Mots Pour Le Dire », dédiée à la lutte contre la maltraitance et les violences faites aux enfants. Elle dirige la commission « Mineurs et adolescents » du Comité national des violences intrafamiliales (CNVIF) et siège à la Ciivise.

Prescription et imprescriptibilité: un choix de société Derrière ces mots techniques se joue un équilibre délicat: garantir la sécurité juridique tout en répondant au besoin de vérité, de reconnaissance et de réparation exprimé par les victimes. Rendre les violences sexuelles et l’inceste imprescriptibles n’est pas la seule, ni forcément la meilleure, réponse. D’autres pistes mieux adaptées aux réalités psychologiques et judiciaires existent.

La prescription: à quoi sert-elle et comment a-t-elle évolué ? La prescription fixe le temps durant lequel une infraction peut être poursuivie. Elle évite que la justice ne repose sur des preuves affaiblies par les années. Ce principe, souvent mal compris, peut frustrer les victimes, dont le traumatisme met parfois longtemps à permettre la parole. Les dernières réformes ont cherché à s’ajuster à cette réalité: – Loi du 3 août 2018: pour les crimes sexuels commis sur mineur, la prescription court jusqu’à 30 ans après la majorité. – Loi du 21 avril 2021: mise en place d’une prescription « glissante » pour certains crimes et délits sexuels commis sur mineurs. – En 2025, une proposition de loi a envisagé d’étendre ce mécanisme aux victimes majeures; l’idée d’une imprescriptibilité civile des viols sur mineurs a été écartée.

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Pourquoi la prescription existe-t-elle ? Le Code de procédure pénale et le Code pénal inscrivent la prescription comme un outil d’équilibre: avec le temps, les preuves se perdent, la peine perd de son sens, et un procès trop lointain peut menacer l’équité. La Cour européenne des droits de l’homme rappelle régulièrement que la prescription protège la sécurité juridique et le droit à un procès équitable. Cette « politique de l’oubli » est difficile à entendre, mais elle vise à éviter une justice guidée par la seule émotion ou une mémoire fragilisée.

L’imprescriptibilité: une exception historique Après la Seconde Guerre mondiale, l’imprescriptibilité a été réservée aux crimes contre l’humanité. Elle répond à trois idées: la responsabilité ne s’éteint pas, la mémoire judiciaire doit rester, la dissuasion doit être permanente. Étendre ce régime aux violences sexuelles, aussi graves soient-elles, pose un vrai problème d’équilibre juridique: on risquerait d’étirer la définition des crimes contre l’humanité au-delà de son sens.

Pourquoi l’imprescriptibilité ne résout pas tout – Elle peut nourrir une attente irréaliste: sans preuves matérielles ou témoignages solides, un procès tardif ne débouche pas forcément sur une condamnation. – Plusieurs pays européens ont renoncé à l’imprescriptibilité en matière sexuelle, jugeant qu’elle compliquait les procédures sans garantir une meilleure sanction. – La justice pénale ne répare pas tout: la reconstruction passe aussi par la santé mentale, la parole accompagnée et la reconnaissance sociale.

Les arguments souvent avancés en faveur de l’imprescriptibilité, et leurs limites – L’amnésie traumatique: certains plaident qu’elle empêche d’agir à temps. En France, la Cour de cassation ne la considère pas comme un obstacle suspendant la prescription, faute de consensus scientifique suffisant. Le débat reste vif en France comme à l’international. – L’assimilation aux crimes contre l’humanité: juridiquement infondée. Les violences sexuelles ne répondent pas à la définition d’actes commis selon un plan concerté contre un groupe civil. – Lutte contre l’impunité: sans éléments probants, l’absence de délai ne garantit pas plus de condamnations. L’exemple belge montre que l’imprescriptibilité n’empêche pas les classements sans suite. – Libération de la parole: la perspective d’un délai peut parfois pousser à témoigner; pour d’autres, le fait que ce délai soit passé aide à entamer un travail de reconstruction. Le chemin de chaque victime est singulier.

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Quelles alternatives pour mieux protéger et réparer ? La priorité est de rapprocher la justice du temps des victimes et de rendre le système plus bienveillant et efficace: – Former davantage magistrats, policiers, enseignants et soignants à l’écoute et à la prise en charge des victimes. – Garantir aux mineurs un accompagnement systématique par un avocat et un administrateur ad hoc. – Professionnaliser tous les intervenants au contact des victimes, de l’enquête au soin. – Créer un fonds dédié pour la prise en charge psychologique et l’indemnisation lorsque le FGTI ne peut intervenir. – Développer la justice restaurative, qui favorise la reconnaissance et la responsabilisation, en complément de la sanction. – Redonner toute sa place à la voie civile, qui peut encore offrir réparation et reconnaissance même après la prescription pénale.

Promettre l’imprescriptibilité, c’est parfois promettre une justice que le temps et l’absence de preuves rendent impossible. L’enjeu n’est pas seulement d’allonger les délais, mais d’agir tôt et mieux: écouter, protéger, accompagner, reconnaître. La prescription ne doit pas être vécue comme une démission, mais comme un cadre qui nous oblige collectivement à prévenir, à former et à garantir une réponse digne pour chaque victime. C’est dans cette exigence d’humanité que peut se construire une justice réellement réparatrice.

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