Pendant près de soixante heures, un déluge s’abat sur le Cotentin. Le mercredi 18 octobre 1848, Valognes, Cherbourg et plusieurs bourgs se retrouvent sous l’eau. Rues transformées en torrents, maisons envahies jusqu’à plus d’un mètre, dégâts en chaîne: les chroniques locales racontent une crue historique.
Valognes piégée par la montée des eaux – À Valognes, les rues de la Poterie, de Venise, Siquet, de la Trinité, de la Sarde et des Religieuses jusqu’à l’hôtel du Louvre ne forment plus qu’une immense nappe. La rivière du Pont-Secouret déborde, et dans la nuit, l’eau grimpe encore: dans de nombreuses maisons, le niveau dépasse un mètre. Au Grand-Carrefour et dans les rues voisines, les commerçants accusent de lourdes pertes. – Scènes marquantes: des tonneaux de cidre se mettent à flotter dans la cave d’un cabaret de la rue Siquet; la librairie Capelle et Pouchin est envahie par près de 1,3 m d’eau, ses livres irrémédiablement perdus. Chez la veuve Leroy, bijoutière, caisses de bijoux, cristaux et objets fragiles dérivent entre les comptoirs; un commis, qui dormait dans l’arrière-boutique, est tiré de son sommeil par l’eau qui gagne son lit. – Rue Siquet, un drame est évité de peu: un homme ivre chute dans l’égout et manque de se noyer dans environ 1,3 m d’eau. L’horloger Leparquois et l’employé municipal Léopold Villette le sauvent in extremis. – Le quartier du Grand-Moulin est totalement submergé. La prairie du Gisors, l’Hôtel-Dieu et la propriété de M. Lemaître offrent l’image d’un vaste étang. Dans plusieurs maisons, l’eau atteint les chambres; on ne peut descendre qu’à l’échelle.
Cherbourg frappée par une tempête d’une rare violence – À Cherbourg, la pluie diluvienne s’accompagne d’un vent de nord-nord-est en rafales. Ardoises et pierres de cheminées tombent, des rues deviennent de véritables rivières et envahissent les rez-de-chaussée. De nombreuses habitations sont inondées de bas en haut, par les toitures endommagées et par l’eau qui s’engouffre depuis la rue. – Le faubourg du Roule subit de plein fouet la crue de la Divette: 80 familles se retrouvent sans logement. Le long de la rue de Paris et dans l’avenue du Roule, le paysage se change en lac, avec plus d’un mètre d’eau sur la chaussée. – La marée haute coïncide avec le pic de crue et bloque l’écoulement vers le canal de retenue: double peine. Deux jours plus tard, la Divette déborde à nouveau; l’avenue du Roule est encore sous un mètre d’eau, la plaine des Mielles est noyée jusqu’à la route de Tourlaville, et du bétail périt.
Quelles solutions après ces inondations historiques ? – Dans la vallée du Merderet (Colomby, Flottemanville-Bocage, Valognes), l’ingénieur dépêché sur place pointe les empiètements et rétrécissements du lit du cours d’eau, responsables d’un reflux des eaux: il faut les supprimer. – Même diagnostic sur la Divette, où la vallée du Roule et les Mielles ont été submergées pour la troisième fois en moins de trois ans. Les arches trop étroites de certains ponts freinent l’écoulement en crue. L’expert préconise un canal de dérivation et une modification du cours du Trottebec. L’urgence d’agir est affirmée pour limiter la répétition de ces phénomènes lors des fortes pluies.
Ailleurs dans le Cotentin – Saint-Germain-de-Tournebut: une femme de 70 ans meurt noyée dans son lit. – Isle-Marie: de nombreux animaux périssent noyés. – Colomby: le pont cède sous la poussée du Merderet; l’eau monte si haut qu’on ne distingue plus que la cime des arbres et les têtes des pommiers. – Saint-Sauveur-le-Vicomte: un pont est emporté sur environ 44 pieds (près de 14 m). Pour accélérer l’écoulement, les autorités font abattre plusieurs murs alentour. – Flottemanville-Bocage: l’église s’affaisse de plusieurs centimètres, surtout vers le chœur. À l’intérieur, des cavités profondes permettent d’enfoncer une barre de fer sur près de 2 m. L’office est interdit; l’architecte mandaté juge des travaux urgents, les fondations reposant sur un sol peu stable.
Inondations dans le Cotentin en 1848, crues de la Divette et du Merderet, tempête à Cherbourg, dégâts à Valognes: cet épisode du 18 octobre 1848 rappelle la vulnérabilité des vallées et des bourgs face aux pluies diluviennes, et l’importance d’aménager les rivières pour prévenir les crues.